Ou comment commencer - modestement - à rafraîchir la démocratie (1)
(Contribution dans le cadre de la prépartion du 36ème congrès du PCF)
La démocratie représentative est en crise. La dérive de nos institutions nationales et la nature des institutions européennes sont l'illustration d'une logique qui vise à éloigner de plus en plus les citoyens des centres de décisions. Les pouvoirs se concentrent dans les mains de quelques-uns et cette réalité là s’accommode très bien d'un niveau d'abstention sans cesse plus élevé. Cette crise nous interpelle sur la nécessité de dépasser une conception, celle d'une « aristocratie élective », qui monopolise les pouvoirs dans les mains d’une élite et écarte toujours plus les citoyens des lieux de pouvoir.
Cette crise pose avec force la nécessité de repenser le rapport au pouvoir.
Ne nous pose-t-elle pas une exigence, à nous même, celle de sortir d'un moule institutionnel qui nous imprègne ? (2).
Dans le cadre du débat sur nos règles de vie, peu de propositions émergent réellement. Certains considèrent que ce n'est qu'un débat annexe. Je pense que c'est une erreur.
Nos statuts c'est un peu comme une constitution pour une nation, ils fixent les droits des adhérents mais aussi les périmètres des pouvoirs.
La révision des statuts n'est ce pas l'occasion de se « révolutionner nous même » ?
De rompre avec la conception de la délégation de pouvoir qui caractérise notre démocratie ? N'est-ce pas l'occasion de donner à voir qu'il est possible de faire de la politique autrement ?
Dans le projet de base commune nous écrivons au chapitre « la Démocratie comme mode de vie » : « Dans toutes les institutions, nous voulons rompre avec le présidentialisme, en finir avec le cumul des mandats en nombre et en durée, favoriser la délibération et l’exercice collectif des responsabilités. (...) »
Pour contribuer à tout cela, il faut commencer par nous même, il faut oser.
Dans le mouvement révolutionnaire, la question du pouvoir a trop souvent été évacuée. La conception d’une avant-garde éclairée – notre réponse à l’élite bourgeoise- tout comme les institutions, nous ont trop imprégné pour que nous ayons été innovants sur la question.
Du centralisme démocratique nous sommes passés aux « choix de faire du pluralisme des idées, un droit et un principe de notre mode de fonctionnement » (Article 8 des statuts du PCF)
Pour autant, nous n'avons ni dépassé les logiques de «tendances», ni le phénomène de cooptation et de reproduction des directions. Sans parler de « l'invisibilité » d'une partie de nos adhérents dans celles-ci.
On peut continuer à se lamenter de cet état de fait, pour ma part je pense qu'il est possible de dépasser cette situation, de commencer à ré-inventer une démocratie.
Au risque de surprendre, ne faut-il pas revenir sur une des formes qui a marqué quelques républiques pendant deux millénaires ? Celui de l’utilisation du tirage au sort, avec des directions composées à tous les niveaux d’une partie de camarades élus par les communistes et d’une autre tirée au sort sur une liste dont le périmètre est à définir.
Si à travers le monde on tire au sort les citoyens pour juger et condamner leurs semblables, nos démocraties bourgeoises ont, dès l’origine, écarté cette solution en invoquant les « capacités » (3) car la question du pouvoir est « trop importante » pour être liée au tirage au sort (4).
Sans préjuger des modalités de mise en œuvre, cette méthode de désignation d’une partie de nos directions aurait, de mon point de vue, plusieurs avantages :
- A la question toujours posée mais jamais résolue de nouveaux droits aux adhérents, elle permettrait enfin d’apporter un début de concrétisation puisque, dans l’esprit, tout communiste pourrait être amené, à un moment donné, à intégrer un collectif de direction sans pour autant devoir être coopté.
- Elle peut permettre, dans une certaine mesure, de dépasser les logiques de tendances, et réduirait de manière notable le phénomène de cooptation et de reproduction des directions tel que nous pouvons le connaître, et qui n’est pas propre au Parti d’ailleurs.
- Elle favorise tout à la fois une plus grande rotation des responsabilités et une plus grande participation d’un plus grand nombre de communistes à l’animation de leur Parti
- Elle peut permettre que les directions soient plus le reflet de ce qu’est le Parti dans sa composition sociologique.
- Plus que des discours, cette disposition donnerait à voir de notre ambition de modifier le rapport au pouvoir.
- Quand à la qualité et l’engagement des «tirés au sort», constatons simplement que le taux d’absentéisme au CN est de près de 50% et nul n’osera prétendre que les « meilleurs » sont au Conseil National...
Sur la mise en œuvre très concrète, pour la direction nationale nous pourrions concevoir une direction qui réponde en amont à plusieurs besoins :
- Des camarades avec des responsabilités pour la mise en œuvre effective des choix de congrès. Aujourd'hui cette question ne se pose qu'une fois la direction élue....
- Des camarades avec des compétences dont l'apport est indispensable à la réflexion collective
-
Des camarades qui reflètent la réalité du terrain et des expériences du Parti
A partir de là, nous pourrions concevoir une direction nationale de 160 membres qui se décline en 4 collèges dont les modes de désignations sont différents :
- Collège 1 : 40 camarades, élus par le congrès à parité, sur la base de responsabilités très précises pour la mise en œuvre de nos choix et l'activité du Parti.
- Collège 2 : 40 camarades, élus par le congrès à parité, sur la base de leurs apports, de leurs compétences.
- Collège 3 : 40 secrétaires fédéraux (hors celles et ceux qui peuvent être élus au titre des collèges 1 et 2) élus selon un processus particulier (5).
- Collège 4 : 40 camarades tirés au sort sur un échantillon à définir (les secrétaires de sections, les membres des CD...), avec des dispositifs à mettre en place pour respecter la parité, la présence des jeunes et éviter la surreprésentation de certaines fédérations ou régions (6)
Au congrès l'élection porterait sur les collèges 1 et 2, avec possibilité de listes alternatives pour ces collèges.
A l'échelon des fédérations il faut envisager une formule qui tout en conservant le principe soit plus souple pour tenir compte des réalités de terrain (nombre d'adhérents....)
En cette période où la souveraineté des peuples est mise à mal, nous pourrions faire la démonstration de la différence entre ce qui est une profonde régression (le traité européen d'austérité sans parler des conclusions de la commission Jospin) et une conception radicalement différente du rapport au pouvoir.
Sous une forme ou sous une autre, de manière expérimentale ou pas, aurons-nous l’audace nécessaire ?
Une audace rafraichissante qui trancherait dans le paysage politique…..
Robert Injey
- Dans le cadre de la préparation du 34ème congrès j'avais rédigé une contribution (Soyons pleinement communistes : Osons !) qui portait sur deux points : le rassemblement et les transformations pour le Parti. Cette contribution reprend et développe ce dernier point.
- Pour l’anecdote ; les statuts adoptés au congrès de Nanterre en 2001, instituant la direction bicéphale sont marqués par le « moule » de la 5ième république. Ainsi, si le Secrétaire National était responsable devant le Conseil National de l’activité de l’exécutif national (un peu comme un premier ministre devant le Parlement), le Président du Parti n’avait de compte à rendre à personne, tout comme le Président de la République… Le « mimétisme » va même jusqu’à faire des relations internationales un domaine réservé du Président du Parti. (Chapitre 2 des statuts adoptés au 31ème congrès en octobre 2001, modifié dès le congrès suivant).
- C’est au nom du même argument des « capacités » que le droit de vote des femmes à mis plus de 150 ans à s’imposer.
- Yves Sintonner (Professeur à Paris VIII et directeur adjoint du centre Marc Bloch à Berlin) a consacré un ouvrage à la question en mars 2007 : « Le pouvoir au peuple » (édition la Découverte). Dans les raisons qu’il donne sur l’éclipse du tirage au sort en politique à la fin du XVIIIème siècle, deux doivent nous interpeller : « la victoire d’une conception « aristocratique » de la République insistant sur la constitution d’une élite de gouvernants distincte du peuple ; la professionnalisation progressive d’une activité prise comme les autres dans le développement de la division du travail…. » (page 99). Ne retrouve t’on pas là des reproches que l’on fait fréquemment à nos institutions ?!
- Le problème sur ce collège c'est celui de la parité. Il n'y a que 21 femmes secrétaires départementales. Pour prendre en compte ce fait nous pourrions envisager que lpour maintenir la parité soit : dans ce 3ème collège il y a deux échantillons (Hommes et Femmes) et ne sont « pourvu que » le nombre de sièges permettant de rester à la parité. Soit on compense en équilibrant avec le collège 4. Il va s'en dire que l'idéal c'est d'arriver à la parité sur les 96 secrétaires départementaux... quelque soit le choix, les secrétaires fédéraux non élus participent aux travaux du CN sans droit de vote
- Ainsi on peut concevoir que les 40 camarades tirés au sort le soient dans 4 échantillons différents. 10 hommes de plus de 35 ans, 10 femmes de plus de 35, 10 hommes de moins de 35 ans et 10 femmes de moins de 35 ans. Malgré le caractère aléatoire, pour éviter la surreprésentation de quelques fédérations, on peut considérer pour les très grosses fédérations qu'au-delà de 3 elles « sortent » de l'échantillon, 2 pour les fédérations moyennes et un pour les petites fédérations. Toutes ces modalités peuvent faire l'objet d'un règlement intérieur de manière à ne pas alourdir les statuts....