Hommage à Louis Fiori
Les allocutions d’Emile Tornatore et de Jacques Victor
Allocution d’Emile Tornatore,
ancien élève de Louis Fiori et ancien maire du Broc
« Ce n’est pas chose aisée que de se trouver ici et dans cette circonstance pour dire en quelques mots ce que fut une vie si pleine et si riche.
Celle de l’instituteur qui fut pour moi et quelques autres le seul maître d’école de la classe unique du Broc.
Avec sa famille autour de laquelle nous sommes quelques uns à avoir grandi, avec ses amis et avec ses camarades.
Je n’ai pas tes talents de conteur Louis.
Que j’ai mis du temps à t’appeler « Louis » car pendant longtemps tu as été : Monsieur Fiori.
Si tu avais été encore debout parmi nous en te préparant aux éloges méritées que tu vas recevoir et qui sont dans la tête et le cœur de celles et ceux qui te regrettent.
Si tu avais été là vivant à nos côtés, tu chercherais dans ta poche tes cigarettes et ton briquet pour t’apprêter à fumer afin de faire passer ton émotion.
Cette émotion c’est elle qui nous étreint dans cet instant d’adieu.
Adieu au mari, au père et grand-père, adieu à l’ami, adieu au camarade, adieu au magistré.
Dans les anecdotes que j’ai tentées de récolter pour cet hommage, j’ai retenu celle que François Otto, m’a racontée pour ton arrivée au Broc.
Tu avais commencé ta carrière à Saorge et tu arrivais au Broc, prés de Vence où Freinet mettait en place sa pédagogie. Comment ne pas t’en inspirer pour l’appliquer aux élèves de ton nouveau poste ?
Eux aussi t’attendaient et grâce à l’internet du moment, c'est-à-dire radio ruelles la nouvelle de ton arrivée s’est répandue comme un trainée de poudre et toutes et tous abandonnent leurs jeux de l’été pour échanger sur le nouveau venu.
« Il est là le nouveau maitre. A quoi il ressemble ? Il est grand et sa femme qu’est-ce qu’elle est jolie.
Bon on le matera comme les autres diront les plus turbulents ».
A la rentrée tout change de tournure comme on te connait tu as avancé dans ta stratégie habituelle.
Présenter le projet, les faire adhérer à tes propositions et les en convaincre si la première partie de la tactique venait à échouer.
Mais l’opération séduction fut réussie car tu as toujours eu du talent pour gagner ton auditoire.
Même si les mots entendus alors par ces jeunes élèves leur étaient totalement inconnus :
Coopérative scolaire, textes libres, imprimerie et journal « Nos moissons ».
Ils étaient embarqués pour l’aventure de fabrication de leur personnalité. Car tu étais un pédagogue et aussi un instituteur qui a aidé ses élèves à grandir droits et fiers bien que ruraux dans un monde qui commençait à s’urbaniser.
Et là ce qui jusqu’alors était apparu comme impossible tu l’as fait réaliser :
Le chauffage dans la salle de classe unique pour remplacer le poêle à bois, les douches publiques hebdomadaires pour tous les élèves et ouvertes à la population, la découverte de la mer pour les petits montagnards que nous étions.
Si bien que tu fus appelé sur tous les problèmes de nos concitoyens et de la vie du village, jusqu’à être élu au conseil municipal et ce n’était pas un mince exploit pour un communiste au Broc en ces temps là.
Exploits que tu renouvelleras dans la ville nouvelle de Carros où les habitants vivaient dans un univers de chantier aux trottoirs défoncés aux rues zébrées de tranchées aux logements en cours d’achèvement.
Avec eux et l’équipe municipale, dirigée par Pierre Jaboulet, grâce aux pressions exercées sur le préfet d’alors vous avez obtenu les crédits et la ville fut achevée.
Carros qui saura t’honorer en donnant ton nom à l’école du village. Carros où tu exerças tes premiers actes de résistance dans le maquis de La Clapière.
Car dans ta vie au quotidien tu es resté le pédagogue qui nous a appris que le savoir et le comprendre étaient les clefs de l’émancipation et de la liberté.
Pour y parvenir tu as tout mis à notre disposition :
- les récitations pour nous apprendre l’histoire et la langue de notre pays : Victor Hugo, Emile Verhären, Anatole France, Arthur Rimbaud.
Ces poésies nous parvenaient comme l’apprentissage d’une langue étrangère comme les phrases d’une messe laïque. - La cueillette des fleurs à parfum pour nous faire découvrir la beauté de la nature qui nous entourait en même temps que la mise en application de la fable qui disait que « le travail est un trésor ». Car cette cueillette nous permettait de réaliser le rêve du voyage de fin d’année scolaire.
Voilà le maître, car il faut aussi utiliser ce mot à ton endroit, que tu as été pour nombre d’entre nous auxquels je veux associer tes élèves de Saint Philippe, de Saint Pierre d’Arène où tu as exercé pour la première fois tes fonctions de directeur comme un défi à l’administration qui sanctionnait les candidats engagés politiquement ou syndicalement et enfin La Bornala où tu as retrouvé un village qui t’a adopté comme nous l’avions fait au Broc.
Cette vie pleine et entière tu l’as conduite dans la nature que tu adorais, la mer, la montagne et plutôt que te voir dans ce cercueil, je veux t’imaginer dans un champ de génépi et comme le décrivait le poète :
Etendu dans l’herbe sous la nue
Pâle dans ton lit vert où la lumière pleut
Cette vie formidable tu l’as vécue en père de famille auprès de Darie qui t’a accompagné et conseillé dans tes engagements.
A toi Darie, à vous Claire et Annie, à vous Jean Louis et Pierre à vos enfants, au nom des amis du Broc et de la vallée, je vous dis notre tristesse, notre peine. En ce moment vos larmes sont les nôtres.
Vous perdez un mari, un papa, un grand-père formidable.
Louis dans ce dernier combat face à la mort qui t’enlève à nous ; tu nous auras encore montré l’exemple de la fin de ta vie : l’homme doit vivre et mourir dignement.
Tu as croqué la vie à pleine dents avec ce sourire qui engageait à la joie.
Tu as été un hédoniste au point d’en faire l’outil de ta complicité avec les autres.
Tu avais la résistance à l’oppression et le soutien aux autres inscrits dan ta chair. Tu pars mais tu nous les transmets.
La mort nous volera ta présence physique, mais ton souvenir continuera d’enrichir nos vies.
Adieu notre maître et ami. »
Emile Tornatore
*****************************************************************************************************************
Allocution de Jacques Victor, conseiller général honoraire des Alpes Maritimes.
« Tu sais Loulou, nous nous interrogeons :
Qui sommes nous venus accompagner aujourd’hui ?
Qui sommes nous venus honorer normalement et légitimement aujourd’hui ?
A qui rendons-nous un hommage autant mérité ?
A l’instituteur, au Résistant, à l’Elu, au Communiste, à l’humaniste tout simplement.
L’instituteur, Emile TORNATORE, vient d’exprimer son vécu personnel auprès de « Lou magistre » d’exception qui sut employer des méthodes d’éducation révolutionnaires empruntées et partagées avec son ami Célestin Freinet. « En m’investissant dans les méthodes Freinet, disait-il, j’ai connu et vécu des moments exaltants qui ont profondément marqué mes anciens élèves ». Combien Louis devait-il être heureux de voir aujourd’hui tous ceux qui ont prolongés sa vision avant-gardiste de la pédagogie jusqu’à son petit-fils, Baptiste, à qui il a transmis cette façon d’être et de faire, puisqu’il assure aujourd’hui la continuité, en étant un spécialiste connu et reconnu des méthodes de Célestin Freinet.
Son engagement pour l’école de la République se traduisait aussi par son activité syndicale au sein du SNUIPP, dans la défense de la Laïcité, des ses débuts à Saorge et Fontan de 1946 à 1949 jusqu’à l’école de la Bornala en 1981 où il finira sa carrière en tant que Directeur.
En évoquant ses débuts dans la Vallée de la Roya, on ne peut qu’évoquer son grand humanisme mais aussi sa colère jusqu’à ces derniers jours face à la chasse que les pouvoirs publics actuels organisent à l’égard des réfugiés, de ces enfants, de ces femmes, de ces hommes qui fuient la guerre, les drames, la misère et que l’on refuse d’accueillir dignement.
- Rendre hommage au Résistant c’est évoquer ses activités clandestines dans les FTPF dès janvier 1943, alors normalien, dans un groupe animé par son ami Louis SETTIMELLI. Puis rejoignant le maquis « combat » de Carros, après les combats de la Clapière le 21 août 1944, il obtiendra la Croix de guerre avec étoile de bronze et citation à l’Ordre de la Brigade.
Parmi ses multiples faits d’armes la tentative d’occupation du Fort du Mont Agel, un des premiers français à pénétrer dans la cuvette de Sospel, engagé volontaire pour la durée de la guerre en Septembre 1944 sur le Front des Alpes à Menton et Saint Martin Vésubie.
Son engagement de Résistant n’aurait su se limiter à des activités clandestines ou à des faits d’armes.
Ce passeur de mémoire, ce conteur infatigable, savait aller rencontrer les jeunes générations dans les collèges et lycées pour évoquer ces moments de résistance face à l’occupant nazi, mais aussi pour donner toute la dimension fondamentale de l’esprit de la Libération avec toutes les avancées progressistes et démocratiques.
Membre de l’Association Nationale des Anciens Combattants de la Résistance, Louis avait participé aux débuts de l’Association du Musée de la Résistance jusqu’à en devenir un de ses Vice-présidents de 2006 à 2014.
Une anecdote qui montre bien toute la dimension qu’avait su donner Louis à son engagement dans la Résistance : il avait, avec ses propres deniers, acheté en Avril 1944, un revolver et des cartouches.
- Honorer l’élu, c’est retenir qu’il le fut au service des populations de ce département durant 45 ans.
Dès 1953 en tant que Conseiller Municipal au Broc, à Nice ou à Carros en tant que 1er Adjoint.
9 années de 1973 à 1982 en tant que Conseiller Général dans les quartiers de Magnan, La Bornala, la Madeleine et Les Collines à Nice.
12 années de 1986 à 1998 au Conseil Régional où les allers retours à Marseille étaient très fréquents pour défendre les intérêts de notre Département ou de notre Région.
J’ai eu la chance de siéger à ses côtés au Conseil Municipal de Nice à partir de décembre 1978 alors que nous avions battus, à l’époque, Jacques MEDECIN dans un secteur de la Ville après invalidation des Municipales de 1977.
Un élu attentif, spécialiste des budgets, un pédagogue là aussi redoutable avec son compère Charles CARESSA pour porter la contradiction au Maire en place.
J’ai beaucoup appris à ses côtés et me souviendrai toujours de cet échange prémonitoire avec Jacques MEDECIN lorsqu’il lui avait prédit qu’un jour il lui porterait des oranges en prison.
Quelques années plus tard la réalité confirma la prédiction.
Un élu de proximité comme il n’en existe guère, qui n’hésitait pas à rendre service, à s’occuper d’une personne ou de sa famille.
Un élu exemplaire qui savait mettre en harmonie ses propos et ses actes. Là aussi une démonstration d’humanisme qui doit nous servir d’exemple.
Le Communiste: Louis FIORI, adhère au PCF le 15 novembre 1946.
70 années d’appartenance à cette formation politique, qui était pour lui la suite logique de son propre engagement dans la Résistance auprès du Parti qui avait pris toute sa place dans la Libération du pays et pour sa reconstruction avec des objectifs novateurs : Sécurité Sociale, nationalisations, Education Nationale, Fonction Publique et bien d’autres projets.
70 années de fidélité, mais aussi de fidélité critique chaque fois que nécessaire.
70 années de responsabilités au plus haut niveau dans ce département, dont 30 en tant que membre du Bureau Fédéral du PCF. Je me souviendrai toujours de ces réunions du lundi soir où Louis avait toujours le mot pour rire afin de décrisper parfois des échanges quelques peu tendus. De même pour les séances « casse-croute » fréquentes où, Loulou en fin gourmet, se délectait patiemment d’un simple jambon beurre et nous faisait tellement rire.
70 années de sa vie où les missions électorales furent nombreuses, les plus diverses, dans le cadre des élections municipales, législatives ou sénatoriales. Ce qui l’amena à devenir durant plusieurs années le Président de L’Association des Elus Communistes et Républicains des Alpes-Maritimes.
L’instituteur, le Résistant, l’Elu, le Communiste. A chaque moment de sa vie, de sa longue et belle vie, ce sont les sentiments d’humanisme qui auront guidés cette belle vie, pas tous les jours faciles, pour que les gens de condition modeste puissent vivre dans une société meilleure.
Une seule personne peut porter le vrai témoignage de ce parcours hors norme.
C’est toi ma chère Darie qui a partagé les moments heureux et ceux qui l’étaient moins.
Toi qui as su l’accompagner, l’aider, le conseiller et l’aimer.
Nous te sommes reconnaissants Darie de lui avoir permis de partager avec nous ses camarades, avec ses amis, avec la population de ce département, tous les moments de son active vie militante. Nous te sommes reconnaissants de nous avoir permis de partager une partie de cette vie qui nous a tellement apportée et nous a fait grandir.
Claire, Annie, Pierre, Jean-Louis, vous avez de la chance d’avoir eu ce père d’exception. Vous, ses petits-enfants, vous avez eu la chance d’avoir ce grand-père si attentionné à votre éducation et qui avait un tel plaisir à vous accompagner dans vos devoirs, vos études comme il me le racontait souvent.
Je peux me risquer à dire que vous avez eu la chance d’avoir un père et un grand-père Communiste.
Sachez, Darie et tous les enfants, qu’au nom des communistes de ce département nous vous témoignons notre sincère affection et comme vous, nous pleurons la disparition de Loulou.
Tu sais Loulou, il y a une foule considérable venue te rendre hommage. Des centaines et des centaines de personnes venues des quatre coins du département.
Tes amis, tes camarades, des personnalités politiques les plus diverses, et même certains de tes adversaires politiques.
Des connaissances, tes anciens élèves ou électeurs.
Qu’il me soit permis au nom de la famille de vous remercier tous très sincèrement pour votre présence.
Chacun est là Loulou en cet instant où tu vas vraiment nous quitter.
Mais tous, j’en suis certain, ont tenu par leur présence à être là pour honorer et rendre hommage à la belle personne que tu étais et à l’homme véritable que tu étais. Cela est si rare par les temps actuels.
A jamais, Loulou, tu demeureras dans nos cœurs. »
Jacques Victor