Il a toujours existé une division sociale de l’espace. Mais aujourd’hui, elle est bien plus complexe, nous ne raisonnons plus à l’échelle d’une ville, mais à l’échelle des métropoles.
La tendance qui se dégage est assez simple : les populations à faibles revenus et même les couches moyennes tendent, comme habitants, à disparaître littéralement des centres villes, pour être contraint d’aller habiter à la périphérie, voir plus loin encore. Plusieurs phénomènes sont à l’œuvre.
La crise du logement accélère la ségrégation urbaine Il y a la spéculation immobilière qui dresse une barrière financière de plus en plus infranchissable. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, au plan national les prix de vente dans l’ancien ont doublé entre 2000 et 2007, alors que le revenu disponible des ménages n’a progressé que de 22 % pour la même période. Autre effet, celui des loyers sur une période longue (1988-2006) le taux d’effort brut pour les ménages aux plus faibles revenus passe de 31 % à 40 %. Il devient donc de plus en plus difficile de se loger, cela coûte de plus en plus dès la fin des années 90, et si des lois (SRU 1999) donnent des objectifs, des moyens d’agir, localement une logique inverse est à l’œuvre, le « laisser faire le marché ». Mais depuis les années 2000, le « marché » n’a pas rectifié cette poussée spéculative. Bien au contraire, depuis la crise financière, les locations étant moins « rentables » que la vente, en 15 ans la part des résidences principales à Nice est en baisse de 4 points, au profit de la vacance et des résidences secondaires. Un phénomène qui prend d’autant plus d’ampleur que les multipropriétaires ont trouvé un marché lucratif : celui des locations touristiques. Au départ la mise en place de plateformes internet partait d’une idée assez sympathique : permettre à des particuliers de louer leur logement quand ils n’y sont pas. Mais le succès de ces plateformes a rapidement entraîné une « perversion » de l’idée de départ avec le développement d’une véritable activité de location touristique à l’année au détriment du locatif. C’est le cas à Nice où une enquête universitaire(3) constate, fin 2016, l’existence de plus de 6 056 Airbnb sur Nice. Loin de l’esprit initial, 89 % des offres concernent des logements entiers et cette activité bien plus rentable que la location à l’année « impacte directement la disponibilité de petits logements normalement destinés aux jeunes, aux personnes vivant seules et aux familles ». Conséquence, l’offre de logement locatif privé, financièrement encore accessible, tend à disparaître. Une situation qui liée avec le déficit de logements sociaux fait de Nice une destination bien peu attractive pour des pans entiers de la population.
Des politiques qui organisent la ségrégation Mais comme si cela ne suffisait pas, de manière insidieuse, tout est fait pour rendre le centre-ville « moins accessible ». La ségrégation urbaine ne fait pas que se subir par la « main invisible » du marché. Elle s’organise aussi. De ce point de vue la ville de Nice nous offre deux exemples assez symptomatiques. Il y a par exemple le plan local d’urbanisme adopté en 2011 et qui traduit la mise en œuvre d’une véritable ségrégation urbaine. Ainsi, les surfaces réservées dans le PLU au titre des « servitudes de mixité sociale » concerne, pour Nice, une surface globale de 178 894 m2. Mais la répartition de cette surface est très inégale et laisse entrevoir une conception pour le moins particulière de la mixité sociale. Zéro mètre carré sur Cimiez, le Mont-Boron et les collines en général, « Le grand centre », secteur très vaste compris entre le bord de mer, la voie
Mathis, délimité à l’Est par le Paillon et à l’Ouest par le Palais de l’Agriculture, seulement 3 zones réservées (sur 139) représentant 1393 m2. Par contre, l’Ariane, la Madeleine, Carlone, Pessicart, la Mantéga, Bon Voyage et Saint-Roch totalisent 115 860 m2 près des 2 tiers de la surface totale. Des secteurs déjà très denses en termes de logements sociaux et où, à l’exception de Bon-Voyage et de Saint-Roch, la desserte en transports en commun et la circulation sont déjà très problématiques. La circulation c’est l’autre moyen de mettre en place la ségrégation urbaine et de ce point de vue l’exemple de l’Ariane, mais au-delà, de La Trinité est assez exemplaire. Pour la droite non seulement, le tramway ne doit jamais arriver à l’Ariane, mais en plus il n’y a plus de lignes directes Ariane/centre-ville. La ligne 16 s’arrêtant maintenant quartier Vauban. Multiplier les ruptures de charges (changement de moyens de transport) est le moyen le plus efficace pour décourager les déplacements… En parallèle, toute la population à qui les « autorités » de fait interdisent de pouvoir vivre en centre-ville sont incités à aller vivre ailleurs et les projets se multiplient en périphérie (Saint-Martin, La Trinité, Drap…). Allongeant par la même les temps de déplacement, le recours aux véhicules... Là, comme ailleurs, d’autres choix sont possibles, (cf article ci-dessous) pour que le phénomène de Métropolisation ne rime pas avec ségrégation urbaine. Mais l’affrontement va être féroce car comme à l’image de la réaction du député de Cannes la droite ne recule devant rien pour tenter de s’opposer à la mixité sociale.
Robert Injey
5Article publié dans le Patriote n° 210
- Gentrification : (anglicisme créé à partir de gentry, « petite noblesse »), ou embourgeoisement urbain en français, est un phénomène urbain par lequel des personnes plus aisées s’approprient un espace initialement occupé par des habitants ou usagers moins favorisés.
- Beaucoup de publications s’intéressent au phénomène. Pour notre région on notera la thèse de Doctorat de Floriane Scarella : « La ségrégation résidentielle en contexte Métropolitain » soutenue en novembre 2014 à l’Université de Nice-Sophia Antipolis.
- « Étude de cas de smarts destinations touristiques en PACA » E-tourisme en PACA, Geoprad 2017.
Logements : Situations et solution
Comme pour les autres grandes villes du département, l’analyse de l’évolution du logement sur Nice est parlante. En 2014 on comptait 226 720 logements, toutes catégories sur Nice. Si le nombre de logements évolue entre 1999 et 2014 de près de + 7 % avec près de 15 000 logements supplémentaires, l’évolution de la part des résidences principales est bien moindre avec une progression de + 1,5 % sur la même période et un peu plus de 2 500 résidences principales en plus. Mais le paradoxe c’est qu’alors que la droite locale vante l’idée d’une France de propriétaires de leur résidence principale ceux-ci sont de moins en moins nombreux à Nice. Et si le nombre de résidences principales augmente (un peu) sur Nice c’est uniquement grâce au locatif. Par contre dans la même période, on observe un double phénomène, l’explosion des résidences secondaires qui progressent de 50 % sur la même période passant de 19 520 à près de 30 000 et des logement vacants qui, depuis 2006 vont connaître une forte augmentation (+ 25 % en huit ans) pour atteindre aujourd’hui les 30 000(1). A l’inverse sur cette longue période la progression du logement locatif social est très lente… Le taux de logements locatifs passe entre 2002 et 2015 de 10,70 % à 12,67 % alors que l’objectif est de 25 % pour 2025… Le droit à se loger reste à conquérir, le droit à la ville devient de moins en moins respecté. Et les dernières propositions en la matière (bail précaire…) vont aggraver l’existant. Pourtant des solutions alternatives existent. Par exemple, la préemption de manière systématique, pour peser sur la spirale spéculative et le coût du foncier ; alourdir sensiblement la taxe sur les logements vacants, encadrer très sérieusement le phénomène AirBnB, avec la limitation du nombre de nuitées par an, ou n’autoriser que les locations de résidence principale. Il y les possibilités qu’offre la loi sur l’encadrement des loyers, la hausse de 20 % de la taxe d’habitation pour les résidences secondaires… Contrairement à ce que nous assènent les leaders locaux de la droite, les solutions existent !
(1) Source INSEE (RP 1999 ; 2006, 2009, 2014)