Par Robert Injey et David Nakache
Les Alpes-Maritimes sont touchées de plein fouet par le dérèglement climatique et le risque est désormais une réalité. La Métropole Nice Côte d'Azur fixe elle-même, dans ces deux documents planificateurs que sont le Plan Climat Air Energie Territorial 2019-2025 (1) et le Plan d'Action de la Qualité de l'Air (2), ses objectifs pour atteindre la neutralité carbone, parmi lesquels :
- Réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 22 % d'ici 2026, de 33% d'ici 2030 et de 75 % d'ici 2050
- Réduire les émissions de polluants atmosphériques de 44 % d'ici 2026 et de 48 % d'ici 2030.
Or la Métropole n'a réduit sa production de gaz à effet de serre que de 1,4% par an depuis 10 ans et ne sera pas, à ce rythme, au rendez-vous de 2050. Ce chiffre est confirmé par le baromètre de la transition écologique et le graphique qu'elle met en ligne :
Au lieu de tout faire pour réduire la production de GES et d'augmenter la captation des GES déjà produits, la Métropole prend successivement plusieurs décision climaticides : extension de l'aéroport de Nice, maintien des vols en jets privés et des yachts de luxe hyper polluants, bétonisation de la plaine du Var, non application des Zones à Faibles Emissions de carbone, et, plus récemment, augmentation des tarifs des transports en commun et des vélos bleus.
Pour changer radicalement la donne et inverser le cours des choses, nous proposons la gratuité des transports en commun dans la Métropole Nice Côte d'Azur. 38 villes en France dont Calais, Dunkerque et tout récemment Montpellier ont adopté la gratuité des transports en commun. Nice pourrait devenir la 39ème ville et la deuxième métropole de France à la déployer.
Un double objectif, écologique et social :
Ecologique: Sur le territoire de la Métropole Nice Côte d'Azur, le transport routier représente 55 % de la production de gaz à effet de serre et 40 % des polluants atmosphériques. Aujourd'hui 40% des trajets effectués dans la Métropole font moins de 3 km, beaucoup se font à l'intérieur de Nice intra-muros. L'enjeu est de parvenir à faire abandonner l’usage de la voiture au plus grand nombre. Pour y parvenir, il nous faut tout à la fois modifier radicalement l'image collective que nous avons des transports en commun et provoquer un changement de comportement profond.
La gratuité, c'est la liberté de monter dans un bus ou un tramway sans se soucier d'avoir renouvelé son abonnement, d'avoir payé un titre de transport ou de risquer un contrôle. C'est la liberté pour toutes et tous d'abandonner la voiture pour se déplacer.
Les aménagements tarifaires par catégories d'usagers sont socialement utiles mais ne provoquent pas ce choc de mentalités, la gratuité oui.
La gratuité permet également de rendre effectives les Zone à Faibles Emissions mobilité (ZFE-m). Pour circuler dans les territoires placés en ZFE-m, il faut un certificat qualité de l’air et les véhicules les plus polluants ne peuvent y accéder. Une obligation légale qui est un levier important pour faire baisser la pollution atmosphérique en centre-ville. Mais la Métropole a délimité le plus petit périmètre possible (2% des véhicules concernés sur seulement 4% de la superficie de la commune de Nice), et Christian Estrosi a déclaré en Conseil métropolitain qu'il ne sanctionnerait pas le non-respect de ces zones.
L'argument avancé pour ne pas rendre opérationnel ce dispositif est d'ordre social, il doit être pris en compte : beaucoup de personnes, malgré les primes à la conversion, ne peuvent changer de véhicule et se verraient ainsi privées d'accès au centre-ville et devant cette difficulté les élus métropolitains renoncent à cet outil déterminant de lutte contre la pollution atmosphérique. Notre proposition, en rendant l'accès au centre-ville libre et gratuit en transport en commun, permet de mettre en œuvre les ZFE-m sans aggraver la ségrégation urbaine.
Social: L'augmentation des tarifs votée par les élus métropolitains sanctionne financièrement les habitants les plus en difficulté. Selon les propres propos de Gaël Nofri, l’adjoint de Christian Estrosi ce n’est pas moins de 6 à 9 millions d’euros de billetterie supplémentaire qui sont attendus de cette hausse. Une mesure qui en rajoute à la fracture sociale sur le périmètre d’une métropole où plus 20% de la population vit sous le seuil de pauvreté, et où de plus en plus de familles aux revenus modestes sont obligées de s’éloigner des centres villes pour pouvoir se loger. C’est la double peine pour les ménages subissant les effets de la gentrification qui subissent de ce fait de plein fouet la hausse du coût des déplacements. Cela pénalise les habitants des quartiers périphériques qui se retrouvent de fait totalement enclavés avec le phénomène de ghettoïsation que cela entraîne.
La gratuité rend la mobilité accessible à tous et toutes.
Mise en œuvre :
La principale question pour la mise en œuvre d’une telle mesure est bien évidemment la question du financement.
Hors crise covid, la vente des titres de transport représente près de 50 millions d’euros des recettes de la Régie Ligne d’Azur (RLA). Passer à la gratuité implique de compenser ces recettes, mais aussi de prendre en compte l’investissement que représente un réseau plus important, avec plus de conducteurs et conductrices de tramway et de bus. Le passage à la gratuité est possible et des pistes existent pour en assurer le financement, sans restreindre les autres actions de la Métropole
• L’alignement du taux du versement mobilité des entreprises sur celui de plusieurs départements de l’Ile-de-France. Sur la Métropole Nice-Côte d’Azur, il est de 2 % de la masse salariale des entreprises de 11 salariés et plus, contre 2,95 % sur Paris, les Hauts de Seine, la Seine Saint Denis et le Val de Marne. La seule mise à niveau de ce taux permettrait de financer plus de 40 millions d’euros.
• La contribution des touristes au financement de la gratuité via une réévaluation substantielle de la taxe de séjour (hôtels, meublés, locations touristiques, etc.) payée pour chaque nuitée et qui est ridiculement basse pour les quatre et cinq étoiles à Nice. Aujourd'hui, par exemple, une chambre Junior suite luxe avec vue mer à 2400 € la nuit, la taxe de séjour est de 4,04 € par personne ! Et pour donner la dimension du possible, on compte 3,5 millions de nuitées dans les Hôtels quatre et cinq étoiles des Alpes-Maritimes (chiffres 2019 hors Monaco).
• Comme proposé pour le financement du Grand Paris Express, l’adoption du principe d’une taxe sur les bureaux et les parkings des hypermarchés.
• La perception d’une part de la TICPE (taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques) au titre de la transition énergétique.
Ces quatre mesures exigent que la législation évolue (modification du taux du taux du versement mobilité, affectation d’une part de la taxe de séjour à l’autorité organisatrice des transports (la Métropole), taxe sur les bureaux et parkings, etc.). Aujourd’hui face à l’urgence climatique une majorité peut se dégager au sein même du parlement.
Pour être efficace, la mise en place de la gratuité doit s’accompagner d’un renforcement du maillage, en particulier sur le haut et le moyen pays, et d’une augmentation du cadencement selon les besoins. Cela nécessite d'expérimenter, de se concerter avec les usagers et d’ajuster au mieux le dispositif. L’expérimentation pendant une année de la gratuité le week-end est utile pour engager tout à la fois ce retour des usagers vers les transports en commun, mais aussi permettre à la Régie d’adapter le réseau avec la croissance des fréquentations qu’engendre la gratuité.
Seule la gratuité des transports en commun permet un changement radical de la mobilité dans notre imaginaire collectif et rend possible l'abandon du "tout voiture". Nice peut devenir la 39ème ville et la 2ème métropole de France à la mettre en œuvre.
Nous portons cette proposition avec le rassemblement citoyens Viva ! depuis l'élection municipale de 2020. Nous continuons (3) et nous continuerons à la porter car c’est une des solutions d’avenir pour faire face au dérèglement climatique.
Robert Injey et David Nakache
(1): Plan Climat Air Energie Territorial 2019-2025 (PCAET), voté en conseil métropolitain le 5 avril 2018
(2): Plan d'Action de la Qualité de l'Air (PAQA), voté le 16 décembre 2016
(3): Viva a lancé une pétition contre l'augmentation des tarifs des mobilités douces et pour la gratuité des transports en commun qui a déjà récolté plus de 1 500 signatures. A signer et faire signer ici : https://www.mesopinions.com/petition/social/transports-commun-nice-augmentation-tarifs/204302
Réponses aux objections :
La question de la gratuité suscite régulièrement plusieurs objections. Voici quelques éléments de réponses à ces objections :
Réduction de la marche à pied
Un premier argument avancé contre la gratuité des transports est qu'elle réduit le recours à la marche à pied, les personnes qui d'habitude feraient des trajets à pied les feraient désormais en bus ou en tramway. C'est en partie vrai, mais l'expérience démontre que c'est davantage le côté agréable ou désagréable de l'environnement urbain qui incite à marcher ou à ne pas marcher en ville. Améliorons l'environnement urbain (trottoir, bancs, végétalisation, piétonisation, réduction du bruit) et déployons en même temps des pistes cyclables sécurisées et la gratuité des transports en commun.
Injustice sociale
Un second argument consiste à dire qu'il est injuste de rendre gratuits les transports pour les personnes aisées, qui n'en n'ont pas besoin. C'est également vrai mais d'une part les personnes les plus aisées ne prennent actuellement que très peu les transports en commun, et, d'autre part, on ne peut changer radicalement l'image des transports en commun dans notre imaginaire collectif sans passer par une gratuité inconditionnelle pour toutes et tous et sur tout le réseau. Les personnes aisées n'ont certes pas besoin de prendre les transports en commun, mais, pour notre avenir commun, nous avons tous besoin qu'elles les prennent.
Les touristes ne paient pas d’impôts
C’est encore vrai et c’est bien la raison pour laquelle avec une revalorisation de la taxe de séjour perçu sur chaque nuitée nous voulons faire contribuer d’une manière plus juste les touristes à l’offre gratuite de transport qu'offrirait notre Métropole.
Une fausse gratuité
Il s'agirait là d'une fausse gratuité car en réalité le coût en investissement et en fonctionnement des transports en commun est financé par les impôts des contribuables et des entreprises. C'est également vrai. Mais dans ce cas, il faudrait arrêter de dire que l'école publique est gratuite ou que l'hôpital public est gratuit. Nous sommes partisans d'un système de redistribution par l'impôt. L'ensemble des services publics sont financés par nos impôts mais sont "gratuits" au moment de leur usage. L'accès à la mobilité doit être gratuit au même sens que le sont l'accès à l'éducation et aux soins.
La gratuité se ferait au détriment de salariés de la Régie Ligne d’Azur
C’est faux. Une partie de la rémunération des salariés est, actuellement, fondée sur des primes d'intéressement au chiffre d'affaire. La mise en place de la gratuité des transports en commun ne saurait se faire sur le dos de celles et ceux qui y travaillent. Le montant actuel des rémunérations doit être préservé. De la même manière, les salariés actuellement affectés aux contrôles et à la verbalisation doivent pouvoir intégrer d’autres fonctions au sein de l'entreprise, notamment l'accompagnement et la sécurisation des voyageurs. La gratuité entraîne partout où elle a été mise en œuvre un développement de l’offre de transport et donc de l’emploi. La mise en place de la gratuité implique, en amont, une véritable concertation avec les salariés et leurs représentants pour aborder tous ces points.