Face à une droite divisée, mais qui trouvera le moyen de se rassembler, et face à une extrême-droite dont les idées font des ravages dans les têtes, la gauche donne l’image d’un paysage dévasté.
Où en sommes-nous après la fête de l’Humanité ?
Ci-dessous, une modeste contribution au débat qui nous anime (1).
L’éclatement du courant social-démocrate
La démission et l’entrée en lice de Macron pour la présidentielle offre un spectacle inédit sous la Ve République. Celui de voir 4 anciens ministres concourir contre le président sortant. Ces candidatures traduisent l’éclatement du courant social-démocrate et illustrent l’ampleur de l’échec de François Hollande.
Un échec que l’on mesure aussi dans le rapport des forces gauche-droite-extrême droite. Celui-ci n’a jamais été aussi défavorable à la gauche. Dans sa diversité, elle ne représenterait aujourd’hui que 30 à 35% des intentions de vote.
Ces multiples candidats (2) dans un contexte aussi difficile pourraient surprendre. Mais si François Hollande espère pouvoir déjouer les pronostics, si le PCF ne se résigne pas à la catastrophe annoncée, beaucoup partagent l’idée que « l’équation de 2017 est impossible » pour la gauche (3), et que ce qui se joue c’est aussi et surtout l’après 2017.
Toutes les initiatives pour rassembler toute une partie de la gauche (la grande alliance populaire de Cambadelis, En Marche de Macron, les Insoumis de Mélenchon…) sont le reflet des tentatives de reconstruction/recomposition d’une gauche laminée après la présidence Hollande.
Derrière toutes ces tentatives et ces candidatures il y a des motivations différentes. Essayer de les comprendre permet de mieux appréhender les possibles.
La principale motivation, eu égards au nombre de candidatures qu'elle suscite, c'est la maîtrise, après 2017, du PS, de son appareil et de ses finances. Cette motivation part de l’idée de la perpétuation de l’hégémonie du PS sur la gauche même dans une recomposition à venir. Une conception qui, d'une certaine manière, paralyse une grande partie de la gauche.
Valls-Cambadelis s’inscrivent dans cette logique en jouant la carte de la loyauté à Hollande.
Tout en marquant régulièrement sa différence Martine Aubry et d’autres ne jouent pas la carte de l’affrontement avant 2017. Au moment de la motion de censure, dans une lettre aux socialistes du Nord Martine Aubry a exprimé assez clairement les choses « (la motion) n’aurait pas empêché l’adoption de la loi, chacun le sait (…) elle aurait renforcé la droite et, surtout, elle aurait sans doute provoqué une scission de notre parti » et Martine Aubry de donner la marche à suivre : « rester dans notre parti, y travailler et débattre pour faire renaître l’espoir à gauche ».
Enfin il y a ceux qui jouent l’affrontement face à Hollande tout en restant dans le cadre fixé par Cambadélis, pour ne pas se mettre en dehors du PS.
C’est le choix des frondeurs. La primaire donne une visibilité qui aiguise les ambitions. Reste à savoir si les candidats déclarés (Hamon, Filoche, Lienemann, Montebourg) arriveront à se mettre d’accord. La chose semble très difficile, sans doute impossible… Enfin quelle sera leur attitude si d’aventure Hollande ou quelqu’un de sa majorité devait l’emporter ?
Une interrogation aussi sur la réalité de leur marge de manœuvre. Car en fixant la date du dépôt des candidatures à la primaire le 15 décembre, soit deux jours avant l’investiture des candidats aux législatives, Cambadelis n’a rien laissé au hasard…
Face à cela, il y a ceux qui espèrent pouvoir exister en dehors de la primaire du PS et donc du PS. Si Arnaud Montebourg a eu un moment cette tentation, les mauvais sondages l’ont ramené à la réalité. Seul Emmanuel Macron se place lui clairement en dehors, avec la volonté de faire émerger un pôle social libéral assumé. Le soutien dont il bénéficie dans cette période laisse à penser que nous sommes face à une offensive d'envergure, à laquelle n'est pas étrangère une partie du patronat.
Dans les candidats anciens-ministres il y a Cécile Dufflot et la primaire des écologistes. Les élections législatives partielles et les régionales ont montré qu’il existe un électorat écologiste qui résiste, mais qu’EELV n’incarne pas automatiquement. Les bons résultats d’AEI (Alliance écologiste indépendante) en PACA en sont l’illustration et LPE (le parti écologiste) de Placé peu aussi capter une part de l’électorat. Incarner à nouveau et plus fortement l’écologie, la rassembler, est un défi pour Cécile Dufflot et ce qui reste d’EELV. A cela s’ajoute une équation très compliquée pour Cécile Dufflot : élue uniquement grâce à un accord avec le PS, rester la députée d’une circonscription imperdable pour la gauche est impossible sans cet accord.
Au final, quels que soient les scénarios possibles, il est plus que probable qu’à l’arrivée nous nous retrouverons avec plusieurs candidats issus de la mouvance social-démocrate... C’est sans doute la faille majeure dans le raisonnement des frondeurs ; croire que battre Hollande dans le cadre d’une primaire de la gauche règle le problème. Dans une telle hypothèse, Emmanuel Macron pourrait être un recours pour beaucoup et cela, parfois, dès maintenant.
Quelles sont les difficultés pour les communistes dans la période ?
Pour le PCF la volonté est assez simple : contribuer à faire émerger une candidature commune pour porter une nouvelle espérance.
Cette volonté se confronte à plusieurs difficultés :
-Hollande, Valls, mais aussi Macron dans une moindre mesure, n’abandonnent pas l’idée de se réclamer de gauche. On peut considérer qu’ils sont disqualifiés pour la représenter, mais pour une part non négligeable de l’opinion publique, à commencer par ceux qui déclarent voter pour eux à la Présidentielle, ils sont de gauche. Et ce courant de pensée, sous une forme ou une autre, sera présent à la Présidentielle.
-En décidant de participer à la primaire de Cambadélis, et d’en respecter le résultat, donc éventuellement de soutenir Hollande ou son clone, les frondeurs ont fermé la porte aux communistes. Un choix qui confirme le fait que les frondeurs ne perçoivent l’avenir de la gauche que dans le cadre d’une hégémonie du PS. Un choix qui nous piège dans les stratégies tous azimuts des « ténors » de la gauche du PS.
-Jean Luc Mélenchon est lancé. Il ne se rangera pas sous une autre bannière. Cela d’autant plus qu'avec les sondages, mais aussi la situation au PS, il est conforté dans son choix. Pour autant, s’il veut engager une véritable dynamique pour incarner une alternative possible à la droite et à son extrême, il n’échappera pas à la nécessité d’élargir, considérablement, le champ du rassemblement. Cela va lui demander des efforts et des gestes pour créer les conditions pour y parvenir.
-EELV et Cécile Dufflot, pour les raisons énoncées plus haut ont beaucoup de bonnes raisons pour partir et incarner l’écologie. L’échec des alliances avec le PG ou l’ensemble du Front de gauche lors des régionales tend plutôt à renforcer la volonté de l’autonomie écologiste plutôt qu’un rassemblement de la gauche de transformation.
- En septembre 2010, l'annonce d'une candidature communiste avec André Chassaigne, dix-huit mois avant le scrutin, avait utilement contribué à nourrir et à enrichir le débat pour 2012. Aujourd'hui, l'hypothèse d’une candidature du PCF, à 8 mois d'un scrutin et dans le paysage sinistré de la gauche, serait perçue comme rajoutant inutilement à la division. Une situation intenable qui risque de reproduire la campagne de 2007 avec la dynamique militante en moins.
- L’hypothèse d’une pression populaire ou du mouvement social pour que le « bon sens » l’emporte est un peu virtuelle. D’une part parce que nous sommes dans une forme de délégation de pouvoir permanente, et si les citoyens aiment bien que nous leur demandions leurs avis, ils attendent aussi que nous prenions nos responsabilités. D’autre part, dans le même ordre d’idée, il ne faut pas demander au mouvement social d’apporter des réponses là où nous sommes en difficulté pour le faire.
- Il y a l’équation électorale qui dépasse les candidatures et qui est bien plus complexe que nous ne voulons l’admettre. Dans toutes les projections il manque à minima 10 points, parfois 15 points, à la gauche sur 2012. Dans toutes les projections, comparativement à 2012, nous nous retrouvons avec 3 tiers : un tiers « pro gouvernement » (4), un tiers « anti gouvernement » et un dernier tiers qui s’abstient (5) ou pire parfois. Qui peut croire aujourd’hui qu’il est possible de faire converger toute en partie ces trois tiers sur une seule candidature au premier tour ??? (6). Avant d’être divisé dans les candidatures, la division de l’électorat de gauche est dans les idées et dans les votes. Je ne partage pas la thèse de deux gauches inconciliables, pour autant, aujourd’hui, la fracture existe et elle est profonde. Cette fracture pourrait-elle se réduire dans le cadre des présidentielles ? Ce n'est pas le moindre des défis devant nous.
-Pour être complet sur le paysage nous n’échapperons pas à une discussion couplant la présidentielle et les législatives. La problématique est simple, aux législatives nous subissons un effet ciseaux. D’un côté cette élection est perçue par les électeurs comme devant donner une majorité au Président, d’où un poids conséquent du vote utile (Si Hollande fait 28,6% à la présidentielle les députés PS représentent 51% de l’hémicycle…). De l’autre côté cette élection détermine, en fonction du nombre de voix, le financement annuel des partis politiques. A 1,5 euros la voix et par an, cela motive la multiplication des candidatures dans toutes les circonscriptions (7). Une réalité qui nous oblige à éviter aux législatives, et pas seulement dans les seules circonscriptions « jouables », de nous placer dans les situations où les candidats PCF/Insoumis/ Ensemble (…) se disputent les mêmes électeurs. Une lutte d’autant plus fratricide pour les militants du Front de gauche que nous avons fait, bien ou mal, campagne ensemble à plusieurs reprises depuis 2009 (8).
Et maintenant ?
Au final, force est de constater que si l’écoute à nos propositions est toujours polie, du fait des préoccupations des uns et des autres concentrées quasi-exclusivement sur leur propre stratégie politique, l’offre politique formulée par Pierre Laurent et le PCF n’a pas été prise en compte.
Nous avons beaucoup essayé, nous y avons consacré du temps. Mais nous ne sommes pas parvenus à bousculer les lignes, à convaincre celles et ceux à qui nous nous sommes adressés. La multiplication des candidatures, souvent ceux-là mêmes que nous avions invité aux Lundis de gauche, en est l’illustration.
A partir de ce constat il ne faut plus, à mon avis, perdre du temps et beaucoup d’énergie pour essayer de trouver la solution idéale de fait impossible, ni attendre une solution miracle qui n’existe pas.
Il faut dès à présent travailler à une solution qui permette de reconstruire une gauche porteuse de l’alternative.
Une solution qui évite l’éparpillement, autant que possible, des forces qui portent une véritable alternative aux logiques libérales.
Une solution qui permette de nous projeter sur l’avenir et de sortir du marasme actuel (ou tout au moins de le tenter).
Pour essayer d’y parvenir deux propositions :
1/ Dans un débat politique monopolisé par la thématique de la lutte contre le terrorisme, le débat sur les candidatures et les primaires nous étouffe médiatiquement et entrave l’initiative militante et une quelconque dynamique. La vision de la fête de l’Huma via les grands médias est de ce point de vue très symptomatique. Il nous faut très rapidement en sortir et essayer d’installer des marqueurs dans le débat public qui donnent à voir d’une véritable alternative à gauche (Utilisation de l’argent, emploi, droits des salariés…).
2/ Tout en essayant, inlassablement, d’élargir notre rassemblement, la question de converger, à nouveau, avec l’ensemble des partenaires du Front de gauche, et donc de Jean Luc Mélenchon, est à mon avis incontournable.
C'est même de fait une nécessité pour redonner une perspective dans un paysage politique plombé par le désenchantement.
Nous sommes tous conscients que ce n’est ni suffisant, ni simple, et que cela pose des questions, et qu'il faudra sans doute un peu de temps pour y parvenir, mais dans la situation présente c'est nécessaire.
Ne faut-t-il pas très rapidement réfléchir aux conditions et au cadre partagé nécessaire pour parvenir à cette convergence et les mettre dans le débat?
Face à la situation à gauche et à celle de notre peuple, l’engagement des communistes dans le débat présidentiel est indispensable. Non pour rajouter de la confusion à une situation qui l’est déjà trop, mais pour avancer résolument dans une direction. Il faut le faire avec une froide lucidité et en sachant que nous n’aurons pas trop des sept mois qui viennent pour convaincre.
Convaincre des hommes et des femmes de gauche fatigués, humiliés par le quinquennat d’Hollande, qu’une alternative à gauche est possible, que voter est encore utile.
Convaincre des hommes et des femmes lassés par le spectacle très politicien auquel ils assistent.
Convaincre celles et ceux qui auront encore le sentiment d’être floués au lendemain de la primaire du PS.
Convaincre celles et ceux qui, par colère, se sont égarés....
Robert Injey
(1) : D'une certaine manière c'est une actualisation de la contribution suivante: http://www.robertinjey.com/2016/04/2017-il-y-a-urgence-a-clarifier-et-a-etre-a-l-initiative.html
(2) : Aux ex-ministres s’ajoutent des personnalités socialistes (Filoche, Lienemann...)
(3) : Des propos prêtés à Christiane Taubira.
(4) : En 2012 au premier tour Hollande rassemblait près des deux tiers de l’électorat de gauche.
(5) : Celles et ceux qui prennent le temps de lire les phrases minuscules dans les sondages n’auront pas manqué de lire, dans celui de TNS Sofres, que selon les configurations entre 31 à 36% des répondants ne sont pas certains d’aller voter ou n’ont pas exprimé de choix. En 2012 l’abstention au premier tour était de 20%, et en 2007 de 16%.
(6) : Une seule fois (Ifop pour Paris Match du 17 au 19 février 2016) a été testée l’option Hollande seul à gauche avec le NPA et LO. Le total gauche chute à 27,5 et LO et le NPA doublent en %.
(7) : Cela d'autant plus que pour avoir accès à ce financement il faut lors des dernières élections législatives avoir des candidats ayant obtenu chacun au moins 1 % des suffrages exprimés dans au moins cinquante circonscriptions....
(8) : Sur Nice entre les partielles et les élections générales cela représente, depuis mai 2009, 12 scrutins en commun….