Ecouter ou lire Christian Estrosi, c’est souvent prendre le risque d’entendre ou de lire le pire qui puisse se concevoir avec un aplomb dont peu sont capables. Dernier exemple en date sa tribune dans l’Opinion.
Extraits: «l’Etat s’est montré tel qu’il est en réalité: nu. Nu face à la gestion sanitaire, économique, industrielle, sociale, sociétale. Nu, désemparé, impuissant, à la remorque des besoins.»
Après un tel constat, on pouvait supposer une part d’autocritique de la part de celui qui fut trois fois ministre, député pendant près de 30 ans,et qui aura tout voté quand il s’agissait de réduire les prérogatives de l’Etat,notamment toutes les lois de décentralisation, d’affaiblir le parlement, de casser les services publics. Un ancien ministre de l’industrie dont le bilan aura été le plus catastrophique à cette fonction.
Et bien non! L’autocritique ne saurait exister chez le maire de Nice. Christian Estrosi est en réalité une parfaite illustration des phénomènes que décrit Naomi Klein dans La Stratégie du choc. Illustration de la montée d'un capitalisme du désastre.
Ainsi pour répondre à la crise actuelle il propose dans sa tribune, après la crise, «un transfert massif de compétences (de l’Etat) et de moyens dans tous les domaines qui touchent à la vie quotidienne et à la protection des Français, à l’emploi, à la sécurité, au développement économique, à la formation et à l’éducation, à l’action et à la protection sociales, à l’environnement et à la santé.»
Nous y voilà! La tentation, jamais abandonnée, de profiter de “crises” pour réduire la Nation et l’Etat à pas grand chose et pour favoriser le retour des grandes baronnies. Un transfert de compétence bien évidement sans «transfert démocratique». Car avec tous ses défauts et la crise de la démocratie représentative que nous connaissons, le parlement est encore le lieu où les parlementaires peuvent demander des comptes à l’exécutif. La démocratie version Christian Estrosi est aussi opaque qu’une nuit sans lune.
La tentation libérale, jamais abandonnée, est d’en finir avec les grands services publics nationaux pour les soumettre aux caprices des roitelets locaux et mieux les livrer au privé.
Déposséder la Nation, c’est mettre à bas la solidarité nationale, c’est favoriser tous les corporatismes, c’est mettre en place d’un côté des espaces riches sécurisés et protégés et de l’autre laisser se mettre en place des territoires misérables et dangereux.
D’ailleurs de manière très cynique c’est ce que fait déjà Christian Estrosi au sein de la Métropole, au sein de la ville dont il est le maire.
La discrimination à l’égard des quartiers populaires en est l’illustration. L’arrêté du 7 avril, dénoncé par ViVA!, instaure un couvre feu dès 20h dans neuf des quartiers les plus populaires de Nice. Des quartiers une fois encore stigmatisés, où le taux pauvreté est le plus important (parfois de l’ordre de 40%!), et les maux qui vont avec, mal logement, insalubrité, suroccupation des logements. Des quartiers touchés de plein fouet par la précarité et l’explosion du chômage partiel. Car c’est dans ces quartiers que vivent celles et ceux qui ont les emplois les moins rémunérés et où le télétravail n’existe pas (sécurité, entretien, bâtiments, restauration, hôtellerie..)
Christian Estrosi sur la plan politique c’est, au fond, la droite la plus réactionnaire. Celle qui fait sienne le concept «Classe laborieuse, classe dangereuse» …
Et pourtant en cette période de crise il y a faire : que propose le maire de Nice, ou que propose t-il au gouvernement pour réduire la fracture numérique par exemple pour des milliers d’enfants du primaire qui sont en train de décrocher faute des outils numériques nécessaires? Pas grand chose et avec beaucoup de retard. Pourtant la fourniture de quelques milliers de tablettes sur Nice n’est pas une chose infaisable et l’extension d’un Wifi gratuit sur les quartiers les plus en difficulté n’est pas une mission impossible.
Que propose le maire de Nice ou que propose t-il au gouvernement pour aider les familles qui, en cette période de grande précarité ont du mal à pouvoir se nourrir et à nourrir leurs enfants- dont pour beaucoup le seul vrai repas c’est la cantine ? Rien sauf à se décharger, une fois encore, sur les associations caritatives.
Dans cette période de crise, le maire de Nice est très présent médiatiquement, et multiplie les annonces pour occuper l'espace. Un activisme pour tenter de faire oublier qu’il est de ceux qui ont bradé l'hôpital public ou bien encore que ses choix (sur-tourisme, extension de l’aéroport, bétonisation….) s’inscrivent dans une logique que la grave crise sanitaire que nous connaissons, qui n’est ni la première ni la dernière, remet profondément en cause. Et se remettre en cause, Estrosi comme Macron en sont bien incapables…
Robert Injey