Vivre avec le risque fait partie de la vie et on s'efforce, autant que faire se peut, de réduire les conséquences d'un risque.
C’est notre comportement au quotidien, en traversant la route, en conduisant, en pratiquant du sport.
Concernant le Paillon, le risque de crue de ce torrent explosif existe depuis toujours. Il fut un temps où un guetteur à cheval signalait quand le Paillon en crue arrivait, et ce n’est sans doute pas un hasard si les Romains ont préféré s’installer sur la colline de Cimiez et non à proximité du Paillon.
Les raisons de ce caractère explosif du Paillon sont assez simples. La topographie du territoire avec de fortes pentes, des vallées encaissées et un encaissement du lit des Paillons entraînent des débits aux pointes élevées et un temps de réponse court.
Christian Estrosi «découvre» le risque du Paillon
C'est d'ailleurs au nom de ce risque du Paillon que Christian Estrosi, lors du conseil municipal du 13 octobre 2022 argumente pour justifier la destruction d'Acropolis.
Un argument pour le moins assez inédit de sa part.
On connaissait l’argument (ou la justification) économique, mais lors de ce conseil, pour la première fois, il nous a livré un long argumentaire sur l’impact du dérèglement climatique sur notre territoire et le risque de submersion.
Dans son intervention d'ailleurs tout y est : réchauffement climatique, la marmite du bassin méditerranéen, la possible hausse des températures de plus 4 degrés sur nos territoires, l’impact d’une pluviométrie comme celle de la tempête Alex avec l’impact d’un débordement du Paillon.
Le seul problème de son raisonnement et il l’exprime ainsi : détruire Acropolis et réaliser la coulée verte c'est «rendre libre le Paillon».
Drôle de conception de la liberté d’un cours d’eau…
Que ce soit la destruction d'Acropolis ou du TNN ou la réalisation de la coulée verte, ni l'un ni l'autre ne participent à «rendre libre le Paillon».
En réalité Christian Estrosi prend prétexte d’un risque réel pour trouver un argument supplémentaire pour justifier son opération de méga-coulée verte avec la destruction d’Acropolis.
Le Paillon, un risque connu, mais…
Prendre un risque, on n’a cessé de le faire depuis qu’on couvre le Paillon depuis 1868.
Parfois même on tente d’ignorer le risque ou tout au moins d’en oublier la réalité. Pourtant le risque est là.
De ce point de vue le PPR de 1999 (Plan de Prévention des Risques Naturels prévisibles d'inondation du Paillon) (2) , document qui figure toujours sur le site de la ville de Nice, le dernier réalisé, est assez révélateur.
On y minimise, par exemple, l'ampleur de la crue de novembre 1940. On parle de «premier débordements» sans en préciser l’ampleur et on n’évoque pas les débits estimés du Paillon (1500m³ seconde).
Mais dans le texte lui-même les risques du débordement du Paillon à hauteur du Palais des Expositions sont clairement explicités à partir de 1000m³ seconde. Pour certaine partie en aval de la couverture c’est d’ailleurs à des niveaux bien en deçà (750 m³ seconde place de Tende).
Avec de telles indications on peut même se demander comment on a pu réaliser la BMVR là où elle est située et qui a été inaugurée en 2002, trois ans seulement après la publication du PPR
Un autre document, «Le contrat de rivières des paillons 2010-2017» (3) donne des indications importantes, sur les éléments des principales crues (pluviométrie et débit) du Paillon, mais aussi des indications sur les crues exceptionnelles et les seuils de débordements.
Deux exemples: la crue du 17 novembre 1940: 3 jours de pluie intense (100 mm puis 140 mm) un débit estimé à 1500 m³ seconde avec des inondations (Dubouchage, avenue de la victoire).
La crue de 2000, ou plus précisément les crues successives en octobre et novembre 2000 avec un débit maximum de 420 m³ seconde au palais des Expos et des cumuls de précipitations en octobre et en novembre de 290 et 397 mm.
Le dérèglement climatique bouleverse tous les repères
Depuis 10 ans, avec le dérèglement climatique notre département est particulièrement menacé par les événements pluvieux intenses qui se traduisent par des crues importantes. On parle de d’épisodes cévenols ou méditerranéens. Des épisodes qui ont tendance à se multiplier sur le pourtour de la Méditerranée. Avant 2000 nous avions connu Vaison la Romaine (1992) et Nîmes (1988), depuis le phénomène se multiplie.
Le Gard en 2002, Draguignan en 2010, les PO en 2018. Il y a eu celui, très localisé dans le Gard, 19 septembre 2020 avec 718 mm d'eau tombés à Valleraugue en moins de dix heures, dont 360 mm d'eau en seulement quatre heures. Le Gardon est passé de 0,70 m à Saint-Jean-du-Gard à 6 m en deux heures
Chez nous il y a eu les inondations des 3 et 4 octobre 2015 de Cannes à Antibes. et Biot (20 morts). En 2019, pas de crue mais des records de précipitations dans plusieurs villes, après une longue période de sécheresse.
Il y a enfin la tempête Alex avec, là encore, des seuils records de précipitations en 24 heures: 120mm à Laghet, 160 mm à Peira Cava, 428 mm à Clans sans parler du lac des Mesches où en 24 heures il est tombé 663 mm d'eau.
D’une manière générale - sans même prendre en compte les chiffres de la tempête Alex- on observe, depuis 20 ans, une plus forte pluviométrie lors des journées de pluies maximales.
Revenons aux estimations de débit au niveau du Palais des expositions (4)
Le débit décennale maximum est estimé à 260 m³ seconde
Le débit centenaire de pointe est estimé à 750 m³ seconde
Le seuil de débordement est à 1000 m³ seconde
Et enfin le seuil dit des 500 ans à 1500 m³ seconde
1500 m³ seconde, c’est l’estimation pour la crue de 1940. Il y a plus de 80 ans.
Tout le monde a conscience, qu’avec le dérèglement climatique, les indications des chiffres du PPR de 1999 correspondent au monde d’avant, mais pas à celui qui s’offre à nous aujourd’hui.
La tempête Alex dans la Roya, a fait sauter tous les repères. A certains endroits, la Roya a raboté la chaussée jusqu’à la roche mère taillée il y a 3 siècles pour ouvrir la route royale. Les espoirs mis dans la re-végétalisation des bassins versants pour ralentir l’écoulement des eaux a très peu d’effets avec les niveaux de précipitations observés lors de la tempête Alex
La ville ou les services de l’Etat ont-ils d’autres simulations, de nouvelles estimations sur des précipitations de type tempête Alex sur les Paillons ?
A cet instant il semble bien que non et que nous en sommes réduits à des documents qui ont plus de 20 ans.
Maintenant que faire ?
Logiquement dégager complètement le Paillon dans Nice n'empêcherait pas le Paillon de déborder éventuellement, mais en réduirait l’impact .
D’une part en augmentant le seuil du niveau de débordement, d’autre part en réduisant le risque d’obstruction du lit par les matériaux qui s’encastrent sur la dalle ou les piliers qui soutiennent la dalle.
Le coût écologique d’une telle mesure serait élevé, mais inférieur au coût humain et écologique d’une catastrophe.
Sur le coût politique d’une telle mesure, détruire la couverture du Paillon et donc la coulée verte pour laisser la place au lit du Paillon à sec 95% du temps, cela implique une véritable prise de conscience sur la question et une réelle audace politique. (5)
La motivation profonde de Christian Estrosi concernant l’extension de la coulée verte est double: favoriser la rente foncière sur laquelle vit une partie de la bourgeoisie niçoise et qui est de nature à faire venir les «investisseurs» en quête de rentabilité maximum et préparer sa réélection de 2026 avec un équipement marquant.
Mais au regard des conséquences à terme du dérèglement climatique, le maire de Nice perpétue non seulement un risque, mais connaissant l’ampleur des incidences du dérèglement climatique, Christian Estrosi joue à la roulette russe.
Robert Injey
1): Extrait de d’une intervention lors de l'initiative du collectif citoyen niçois Viva!, le 7 février 2023, sur le thème : Pour un aménagement du territoire sans risque et en faveur des populations : Var et Paillon, quel futur ?
2): https://www.alpes-maritimes.gouv.fr/content/download/26823/222158/file/RapportDePresentation.pdf
3): https://www.gesteau.fr/sites/default/files/bilan-contrat-de-rivire-.pdf
4) Idem
(5) Des villes ont, d’ores et déjà, fait le choix de découvrir leur fleuve (Bruxelles, Rennes, Annecy…).