Trois mois après les législatives, il n'est pas inutile d’essayer de revenir sur la séquence électorale. Le risque est grand de minimiser ce qui s’est passé à gauche avec la NUPES, de considérer que cela n’a «ni empêché la majorité d’être réélue, ni l’entrée de 90 députés du Rassemblement National au parlement.» En d’autres termes, de laisser supposer que la NUPES n’aurait été utile à rien.
Souvenons-nous: quelques semaines avant la présidentielle, les projections pour les législatives ne laissaient entrevoir que quelques dizaines de députés de gauche et la nécessité d’en passer par un groupe technique pour exister.
En 2022 avec la NUPES, la gauche réussit à se qualifier, pour le second tour, dans 385 circonscriptions. En 2017, les candidats de gauche (PCF, LFI, EELV et PS) n’étaient présents, au second tour, que dans 145 circonscriptions.
En termes de gains et de pertes le bilan de 2022, par rapport à 2017, est encore plus éloquent:
Les partenaires de la NUPES gagnent 93 députés; le RN 83; LR en perd 75 et la majorité présidentielle en perd 157. Pour la première fois sous la 5ème République, quand les législatives suivent immédiatement la présidentielle (1) un président juste élu ou réélu ne possède pas de majorité à l’Assemblée Nationale. Un fait rendu possible par le score de la NUPES.
Enfin, sur la petite musique consistant à faire porter à la NUPES la responsabilité de l’entrée de 90 députés RN au parlement, constatons simplement qu’au second tour le RN l’emporte 53 fois face à Ensemble. Par ailleurs ces derniers, ainsi que LR se sont bien gardés, à quelques exceptions près, à appeler à faire barrage au RN quand il était opposé à la NUPES, faisant perdre ainsi à la gauche 20 à 30 de sièges… Autant de sièges que le RN gagne.
La NUPES est la meilleure chose qui soit arrivée à la gauche depuis des décennies.
On pourra regretter que cette volonté de faire n’ait pas existé en 2017.
On pourra regretter que sur la partie citoyenne il manque du monde.
On peut regretter plein de choses mais en quelques semaines la gauche a réussi à faire ce que beaucoup attendaient.
Cette démarche a connu des prémisses dans mon département, les Alpes-Maritimes, lors des sénatoriales de 2020 ou des départementales de 2021. Une démarche qui part d’un principe de réalité: si on veut pouvoir peser face à la droite et l’extrême droite, il faut se rassembler. Aux Régionales en PACA et aux municipales (Nice et toutes les villes du littoral) d’autres choix ont prévalu… les résultats furent sans appel: lilliputiens.
A titre personnel, avec des améliorations à apporter, je suis favorable à une poursuite, une amplification et un élargissement de la démarche de la NUPES.
Restent plusieurs problématiques:
-L’explosion de l’abstention sur tous les scrutins hors présidentielle. Reflet d’une démocratie de moins en moins représentative et de plus en plus présidentialiste. Aucun scrutin n’y échappe, en particulier les législatives où depuis 1997 l’abstention est passée de 32,1% à 52,5%. Dans les quartiers populaires, le phénomène n’est ni nouveau, ni irrémédiable. De ce point de vue les résultats en Seine Saint Denis sont bien plus intéressants que les caricatures que nous pouvons lire ici ou là (2). Dans les circonscriptions de Seine Saint Denis, les sortants FI et PCF progressent en % au second tour sur 2017 parfois de 10 points sur le nombre des inscrits. Et presque tous réalisent de bien meilleurs résultats en % des inscrits que n’importe quel député LR, RN où Ensemble des Alpes Maritimes.
-Poser la question de l’abstention c’est poser la question de l’utilité du vote. Avec l’inversion du calendrier, en 2000, en réduisant le rôle de l’Assemblée Nationale à une simple chambre d'enregistrement, l’utilité des députés a fondu au yeux des électeurs. Aujourd’hui l'absence d’une majorité absolue aux ordres, redonne de la place au rôle de l’Assemblée, et au débat politique, peut-être est-ce de nature à favoriser un retour des électeurs aux urnes pour ce scrutin.
- Les sortants de la NUPES, face au candidats RN marquent le pas. En fort recul pour ceux qui étaient déjà opposés à des candidats FN en 2017 (3). Pour les autres, quand ils y sont confrontés, soit le score stagne (Ruffin) soit c’est une faible progression (Seine-Maritimes) sur 2017. C’est une réalité, la NUPES ne progresse pas ou peu dans les zones de la France périphérique. Cette réalité, pointée par Fabien Roussel et François Ruffin, n’est pas propre à la NUPES et à la France. En 2016 le succès de Donald Trump a mis en lumière le fossé qui sépare les classes populaires blanches rurales ou périurbaines d’un côté, les cadres supérieurs des grandes métropoles et les électorats populaires des centres urbains d’origine afro américain ou hispanique de l’autre. Une fragmentation de l'électorat que l’on retrouve en Europe, en Grande Bretagne, par exemple, où ces dernières années les travaillistes ont perdu des sièges qu’ils détenaient depuis plus d’un siècle, dans le Nord et les Midlands, des bastions ouvriers. Dans une tribune le 4 août dans l’Obs, François Ruffin, propose sur cette fragmentation de l'électorat populaire d’établir «un diagnostic partagé à gauche avec les militants, les intellectuels, les sociologues». Il y a urgence, car cette fragmentation s’installe durablement .
- Enfin il y a une problématique plus spécifique au PCF. C’est son décrochage, depuis des décennies, de l'électorat le plus populaire. Si grâce à ses militants, ses élu.e.s et à un tissu associatif (là où il existe encore) le PCF, arrive à préserver quelques «bastions» au moment des municipales, ce n’est plus le cas, et depuis très longtemps, sur les scrutins nationaux, en particulier la présidentielle. Quelques chiffres éloquents: Gennevilliers (92): 7,26% pour MG Buffet en 2007, 3,56% pour F. Roussel en 2022; Bezons (95): 5,12% et 2,09%; Montreuil (93): 4,44% et 3,05%; Villejuif (94): 6,44% et 4,22%; Martigues (13): 6,56% et 5,05%.
A Nice, pour ne prendre qu’un exemple, dans les bureaux les plus populaires des quartiers Est (Ariane, Liserons et Bon Voyage) sur 7 bureaux, représentants 7425 inscrits et 4318 votants, Fabien Roussel ne réalise que 44 voix, soit 1% des votants et 0,6% des inscrits là où Marie George réalisait 153 voix pour 6459 inscrits (2,37% des inscrits). Avec le prochain congrès (avril 2023), il faudra se poser les bonnes questions sur ce sujet, comme sur bien d’autres…
Le chemin pour construire une véritable alternative aux politiques libérales dans notre pays passe, immanquablement, par une amplification de la démarche de la NUPES. Avant les législatives, en un temps record, nous avons collectivement beaucoup avancé sur les axes et propositions qui nous rassemblent sans occulter les points où des différences existent. Maintenant il faut avancer, il y a urgence…
Robert Injey
(1): Des législatives dans les semaines qui suivent la présidentielle ce fut le cas en 1981, 1988, 2002, 2007, 2012, 2017 et 2022.
(2): Comme par exemple prendre comme référence, pour le moins caricaturale,de l’abstention en Seine Saint Denis le score de Clémentine Autain au second tour, qui comme la remplaçante de MG Buffet, était la seule candidate en lice au second tour, la divers gauche s’étant retirée. Un scrutin donc sans le moindre enjeu puisque la candidate est automatiquement élue. Si l’abstention est toujours plus élevée en Seine Saint Denis (30,22% au premier tour de la Présidentielle contre 26,31% au plan national) un aspect est souvent totalement passé sous silence, c’est la pyramide des âges dans ce département. Seuls 16,7% des habitants du 93 ont 60 ans et plus, contre 30,6% dans le 06 et 26% en France. Or comme le note une enquête réalisée par Ifop-Fiducial pour LCI après le 1er tour des législatives, «ce sont 70% des électeurs de moins de 35 ans qui ne voteraient pas. Parmi cette tranche d'âge, 76% des 18-24 ans et 66% des 25-34 ans s'abstiendraient. A contrario, la tranche d'âge qui vote le plus est celle des 65 ans et plus, avec un taux d'abstention estimé à 35%....»
Par ailleurs, l'abstention est plus forte chez certaines catégories professionnelles. Dans la même enquête l’Ifop-Fiducial note que les catégories les plus aisées sont celles qui s'abstiennent le moins, puisque 35% des personnes de cette catégorie seulement ne votent pas.
(3): Ainsi Caroline Fiat (FI) en Meurthe et Moselle et Fabien Roussel dans le Nord perdent respectivement 11 points et près de 10 points des exprimés sur 2017.