En nommant Olivier Bettati à la tête de la mission sur le devenir du Port de Nice, Christian Estrosi devait bien se douter qu’il ouvrait là deux fronts. D’une part le Port lui-même, pour lequel le maire de Nice n’a encore jamais dévoilé ses intentions réelles et ensuite la lutte pour la 1ère circonscription, celle d’Eric Ciotti.
Sur ce dernier point nous aurons l’occasion de revenir longuement sur l’affrontement à venir entre les différents protagonistes: Eric Ciotti, le sortant; Olivier Bettati en charge de la mission port, potentiel candidat contre le sortant; Philippe Soussi le conseiller départemental du canton, pas candidat mais qui aimerait bien l’être en ne cachant pas sa détestation pour Olivier Bettati. Sans parler de Christian Estrosi qui, au final, décidera qui affrontera Eric Ciotti.
L’essentiel c’est le devenir du port de Nice. Le lancement de la mission confiée à Olivier Bettati sur le devenir du port semble relever avant tout d’un affichage pour faire penser qu’il « y a une concertation».
En réalité, il est à peu près certain que Christian Estrosi a une idée très précise de l’avenir qu’il réserve au port. Il est dans ses habitudes d’aller très vite en la matière. Ainsi, après avoir lancé l’idée de l’extension de la coulée verte et de la destruction d’Acropolis et du TNN le 19 janvier 2020, l’affaire est définitivement pliée avec la signature du permis de démolition le 19 janvier 2022, pile 24 mois plus tard
Et pour deviner les intentions de Christian Estrosi il suffit de relire ses déclarations lors de la 16ème édition des Assises économiques de la mer, le 14 septembre dernier à Nice. Il y fait quelques annonces, mais surtout il évoque les deux choix stratégiques entre lesquels il va se prononcer.
Sur les annonces, elles traduisent clairement un cap qui se veut écologiste:
- La création d'une aire maritime protégée "de l'aéroport jusqu'au cap de Nice",
-Une mesure choc pour "l'économie bleue" avec, au nom du principe "pollueur-payeur", la mise en place d’une éco-taxe de 60 euros pour chaque voiture embarquant dans un ferry.
-Dans les aménagements, le quai des Deux Emmanuel devrait être piétonnisé, une nouvelle criée sortira quai de la douane, ou bien encore le parking du phare disparaîtrait au profit d'une terrasse végétalisée.
Mais le vrai sujet c’est le choix stratégique pour le renouveau du Port. Après avoir énoncé l’évidence, que «Nous n'avons pas l'ambition de devenir le port de Dunkerque, Marseille ou Hambourg» il pointe deux options pour le port: soit il gardera, à l'avenir, sa dimension «marchande et commerçante, soit il se tournera vers du yachting, de la plaisance, de la pêche».
Il n’est pas non plus très difficile de concevoir quelle est l’option préférée par Christian Estrosi. Depuis des années, projet après projet, requalification après requalification, les secteurs port, vieux Nice, promenade et coulée verte font la part belle aux projets qui visent une clientèle très fortunée. Symbole de cette orientation, la transformation, dans le Vieux Nice, de l’ancien couvent de la Visitation en hôtel 5 étoiles (Un investissement de 40 millions d’euros), avec un bail de 90 ans. Dans le même temps, le Park Hotel et le Plaza, en pleins travaux, montent en gamme pour devenir, eux aussi, des 5 étoiles. Ainsi en 2023 Nice devrait compter six établissements 5 étoiles, contre trois aujourd’hui.
Christian Estrosi serait d’autant plus tenté de faire basculer le port de Nice en priorité dans l'accueil des yachts que Monaco étant totalement saturé, la demande est très forte.
Grands Yachts: Monaco saturé….
Ainsi, Aleco Keusseoglou (Président de la Société d’exploitation des ports de Monaco), l’évoque lui-même dans une interview à «L’observateur de Monaco» (31/12/2021): «De plus en plus de résidents haut de gamme viennent s’installer à Monaco. Et parmi ces nouveaux résidents, un ou deux sur quatre possèdent un bateau. Aujourd’hui, nous ne disposons plus de places de port à leur proposer et cela fait plusieurs années que nous sommes dans cette situation » . Pour répondre à cette demande en pleine expansion, en particulier pour les navires de plus de 35 mètres (effet Covid, la crise n’est pas la même pour tous…), Monaco a acheté et totalement transformé le port de Cala del Forte à Vintimille. pour accueillir plus de 150 bateaux dont 40 de plus de 35 mètres. Mais l’affaire s'avère être un demi échec. Éloignement, manque d’attractivité malgré des installations luxueuses sur le port, les propriétaires ne se précipitent pas à Vintimille.
…. Nice à la rescousse ?
Par contre si c’était à Nice, dans l’écrin remarquable que constitue le port de Nice, à quelques mètres de lieux festifs comme la place du Pin, des établissements de luxe sans parler d’une connexion directe par tramway avec l'aéroport ou par hélicoptère (...): la demande serait tout autre.
C’est sans nul doute là le grand projet que, pour l’instant, Christian Estrosi garde dans ses tiroirs.
Pour parvenir à cet objectif un obstacle, de taille, se dresse: ce sont les liaisons avec la Corse. Très réduites ces dernières années, elles monopolisent des infrastructures portuaires importantes qui seraient autant de places pour les Yachts. Maintenir la liaison, la déplacer vers un autre port à l’ouest, ou la supprimer, c ’est sans doute là que bloque pour l’instant le grand projet de Christian Estrosi . D’où la mise en place d’une concertation, pour tâter le terrain avant de s’engager plus avant.
Un choix qui tourne le dos à l’avenir
On ne peut que regretter une logique qui soumet de plus en plus notre ville, son économie, et son avenir au développement du tourisme de luxe. Un choix qui est très dépendant de la situation géopolitique et des crises. Ainsi pour prendre un exemple très concret, ce n’est pas demain que nous sommes près de revoir les riches touristes russes. Un choix qui nous prive d’autres options plus en adéquation avec le monde de demain. Une diversification nécessaire pour ne pas tomber dans une économie mono-activité très dépendante des crises internationales mais aussi de l’impact du réchauffement climatique. On pourrait, par exemple (la liste n’est pas exhaustive), penser un pôle de recherche développement sur les différents aspects de l’économie de la mer. A l’heure du réchauffement climatique les défis sont nombreux (productions énergétiques, ressources, préservation de la faune et de la flore…). Mais loin de se tourner vers l’avenir, Christian Estrosi fait le choix de la rente touristique. Rien de bien moderne, ce fut le moteur économique de Nice au XIXème siècle, avant de s'effondrer en 1914...
Robert Injey