Combattre le terrorisme
Face à l’émotion suscitée par la nouvelle attaque de Nice et après l’assassinat de Samuel Paty, nous assistons à de nombreuses déclarations, à des surenchères, à des discours guerriers où parfois la raison semble céder le pas.
Une guerre de plus de 40 ans
D’abord une évidence: oui, nous sommes en guerre.
Voilà plus de 40 ans que nous sommes en guerre contre cet extrémisme religieux, ce terrorisme djihadiste, religieux ou islamique, peu importe le nom que nous lui donnons. Beaucoup qui aujourd’hui veulent nous donner des leçons ont mis du temps pour s’en rendre compte, quand ils n’ont pas joué, et jouent encore, à des jeux dangereux. Souvenons-nous, quand les «Autres» (musulmans ou de culture musulmane) ou des progressistes étaient les seules victimes: cela «ne comptait pas».
Dans les années 1980, l’Occident considérait les Talibans comme des combattants de la Liberté contre le communisme et l’URSS en Afghanistan. Largement financés et formés par les États-Unis, largement soutenus par les régimes les plus autocratiques et réactionnaires du Golfe Persique on a voulu voir en eux des héros.
Dans les années 90, nos grands donneurs de leçons n'ont pas eu de mots assez durs contre l'armée algérienne, accusée de tous les crimes alors même qu’elle livrait un combat à mort contre ce même terrorisme islamique. Une guerre qui aura fait entre 200000 et 300000 morts. Des puissances occidentales, comme la Grande-Bretagne, accueillirent, jusqu’au 11 septembre 2001, ces terroristes sur leur territoire comme des réfugiés politiques.
Dans les années 2000 l’Occident, Etats-Unis en tête et une grande partie de la droite française, ont soutenu la guerre en Irak (2003) qui eut pour conséquence directe la destruction de l’Etat Irakien, puis la création et l'expansion de L'Etat Islamique (Daesch) en 2006 sur les ruines de l'Irak.
Dans les années 2010 pour des raisons politiciennes nous (La France en particulier) avons joué avec le feu en Libye et en Syrie. En intervenant militairement en Libye en 2011, contre l'avis de la majorité des pays européens, puis hors du cadre des résolutions de l'ONU. En Syrie, en livrant des armes aux islamistes syriens dès 2012, malgré l'embargo voté à l'ONU, favorisant encore une fois une nouvelle expansion de l’Etat Islamique. En agissant ainsi nous avons libéré des forces que nous n’avons jamais maîtrisées et qu’aujourd’hui nous retrouvons en Afrique subsaharienne par exemple.
Notre duplicité avec les monarchies du Golfe
Pendant tout ce temps-là, pendant ces décennies nous n’avons cessé d’entretenir les meilleures relations du monde avec des régimes (Arabie Saoudite, Qatar…) qui portent la conception de l’Islam la plus réactionnaire, la plus radicale. Des régimes qui n’ont cessé d’avoir des relations ambiguës avec la sphère islamique. Mais l’argent n’a pas d’odeur, la France est un des principaux fournisseurs d’armes de l’ Arabie Saoudite et du Qatar, et ce dernier finance largement le football français.
Nous dénonçons l’Islam radical mais nous ne cessons de faire la part belle à ceux qui portent cette conception archaïque de l’Islam et qui grâce à la rente pétrolière ont les moyens d’engager, à l’échelle planétaire, une lutte d’influence pour imposer leur conception de la religion. Allons-nous encore longtemps être les complices de cela ?
En 2015 l’ancien juge antiterroriste Marc Trévidic résumait parfaitement la situation: «La France n’est pas crédible dans ses relations avec l’Arabie saoudite . Nous savons très bien que ce pays du Golfe a versé le poison dans le verre par la diffusion du wahhabisme. Les attentats de Paris en sont l’un des résultats. Proclamer qu’on lutte contre l’islam radical tout en serrant la main au roi d’Arabie saoudite revient à dire que nous luttons contre le nazisme tout en invitant Hitler à notre table.»
Nous pourrions écrire un livre sur tous ces jeux dangereux, ces dérives, ces complaisances (1) .
Que faire ?
Voilà des décennies que ce terrorisme frappe au coeur de la France. Il y a eu les années GIA, puis 2015 et les attentats contre Charlie, l’hyper Casher, le Bataclan. Depuis quelques années, en recul sur le terrain en Syrie, l’ennemi s’est déplacé dans d’autres pays et le mode opératoire en France a changé. Nous livrons une guerre contre un adversaire insaisissable dans laquelle internet joue un rôle majeur pour la diffusion des idées, la radicalisation des individus. Des individus qui, si on prend les trois dernières attaques en France, sont sous les radars du renseignement et totalement inconnus.
Dans ce contexte et sans doute face à l’émotion nous assistons une nouvelle fois à la multiplication des déclarations à l’emporte pièce, nous sommant d’entrer en guerre, exigeant de mettre en cause les libertés fondamentales. Eric Ciotti y va une nouvelle fois de son discours hallucinant « Un Guantanamo à la française» ou faire intervenir l’armée dans «les quartiers sensibles»! On ne luttera pas contre un fascisme en imposant un autre fascisme…
Christian Estrosi veut des mesures fortes, expulser les fichiers S, changer la constitution, ou avoir recours à la reconnaissance faciale. Ces trois mesures n’auraient eu aucun effet contre les trois derniers auteurs d’attentats car justement ils n’étaient en rien repérés.
Cela pose plusieurs questions et appelle des réponses:
- Un problème est récurrent: les auteurs d'attentats sont très souvent inconnus. La tentation d’une sécurisation à outrance de notre société à l'image de la reconnaissance faciale a ses limites, non seulement démocratiques, mais aussi opérationnelles. Les auteurs des attentats de juillet 2016 et ceux des trois dernières attaques étaient sous les radars du Renseignement. Ne faut-il pas repenser et/ou renforcer notre système de prévention et de Renseignement, en particulier sur les réseaux sociaux ? Ne faut-il pas améliorer la prise de décision quand le Renseignement alerte ? (2)
- La question des réfugiés revient systématiquement. A plusieurs reprises (Bataclan, Nice en 2020) les futurs terroristes se glissent dans le flux des réfugiés. Du fait de l'absence de structures d'accueil adaptées en France, de cohérence européenne sur la question personne ne maîtrise rien et on se contente de «fermer» les frontières croyant ainsi se protéger (3). La tâche est laissée souvent aux associations qui ne sont pas en capacité de faire face et de discerner les individus qui potentiellement peuvent être porteurs d’une menace. Cela pose une nouvelle fois la mise en place de véritables structures d'accueil des réfugiés, adaptées et sous la responsabilité des états et non pas sous-traitées à des associations.
- Allons-nous continuer longtemps de faire semblant avec les régimes autocratiques qui portent la conception la plus réactionnaire de l’Islam ? Bien sûr cela va nous poser un problème: ils représentent 60% de nos exportations d’armes et sont de plus en plus présents dans notre sport, dans les conseils d'administration de nos entreprises… Mais en rester là c’est être complice.
- Toutes les guerres menées par les forces occidentales (Afghanistan, Irak, Libye, Mali…) se traduisent par des bourbiers et des échecs. Ne faut-il pas en tirer quelques enseignements?
- Allons-nous laisser faire des puissances étrangères qui, via des Imams, tentent de peser sur l’Islam de France. 300 imams seraient payés par des pays étrangers, dont 50% par la Turquie, cela ne pose-t-il pas un problème? La même réflexion doit être posée avec les mouvements évangélistes.
- Nous parlons à juste titre de République, de laïcité, mais la République traite-t-elle ses enfants de la même manière? La stigmatisation, l’exclusion, la misère matérielle et intellectuelle offrent toujours un terreau à toutes les dérives des extrémismes religieux et autres fascismes. Cela pose avec force la question de notre école et de sa capacité ou pas aujourd’hui de jouer pleinement son rôle. Nous avons besoin d’une école qui soit inclusive, pour permettre de répondre aux besoins éducatifs de tous les élèves. Mais de réformes en réformes, nous avons affaibli notre système éducatif, obsédé par les règles budgétaires. Une logique mortifère, qui joue contre la République.
Enfin il faut surtout éviter sous l'émotion et la colère de tomber dans le piège de la spirale de la haine et de la violence qui ne peut nous mener qu'à une nouvelle guerre de religion dont nous n'avons pas besoin.
Ce piège les extrémistes religieux, l'extrême droite, la droite extrême l’entretiennent volontairement car la haine de l’autre est leur fond de commerce.
Robert Injey
(1): Au hasard: en 2003, Sarkozy qui favorise l’UOIF lors de la fondation du CFCM; en 2007, Blanquer fait limoger le recteur de l’Académie de Lyon pour son opposition à la création de l’école Kindi liée avec Al Qaïda en Syrie; 2016 Valls: « Nous avons une relation stratégique avec l’Arabie Saoudite, il faut l’assumer...»; en 2019, Macron: «L’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis sont les alliés de la France.»; en 2020 le soutien de fait de la France dans la sale guerre que mène l’Arabie Saoudite au Yemen;…. etc etc
(2): Dimanche 25 octobre les services du Renseignement alertent sur les risques contre les Églises, les préfets sont alertés, les responsables des églises sont invités à plus de vigilance, mais sans aucun dispositif sur le terrain. Le jeudi 29 octobre devant la Basilique de Nice il n’y avait aucun dispositif de sécurité… Notons au passage que lors de sa Présidence Nicolas Sarkozy ne s’est pas contenté de réduire les effectifs police-gendarmerie, il a aussi favorisé le démantèlement de nos services de Renseignement.
(3) Par ailleurs, faute d’assumer nos responsabilités sur la question des Réfugiés, cela nous livre au chantage de la Turquie qui bloque sur son territoire près de 4 millions de réfugiés dont une très grande majorité de Syriens. L’Europe aurait versé plus de 10 milliards d’euros, la Turquie use de cette situation pour peser sur les choix de l’Europe et menace régulièrement l’Europe d’ouvrir ses frontières aux réfugiés fuyant nos guerres. Une situation qui, outre l’appartenance de la Turquie à l’OTAN explique les silences quand la Turquie bombarde les kurdes qui se battaient contre EI, ou bien encore quand elle laissait le pétrole circuler entre les zones qui étaient sous le contrôle de l’EI et de la Turquie.