Le négationnisme colonial
Pour séduire l’électorat du Front National, nostalgique de l’empire colonial en général et de l’Algérie Française en particulier, les députés de l’ UMP ont imposé une lecture positive de la période coloniale.
Cette démarche porte une double régression. D’une part elle veut écrire une «histoire officielle» qui effacerait les pages sombres de l’histoire réelle, renouant ainsi avec des pratiques d’un autre temps, d’autre part elle s’inscrit dans une démarche visant à réhabiliter le colonialisme. Un phénomène qui n’est pas propre à la France et qui sous couvert « des droits de l’Homme, de la liberté des marchés et de la bonne gouvernance » vise ni plus ni moins à justifier un impérialisme libéral (1)
Face à cette tentative de réécriture de l’histoire, les démocrates et les progressistes se doivent d’agir pour rappeler la réalité du colonialisme. Une réalité qu’exprimait Jules Guesde en une phrase « la colonisation c’est le vol, c’est le pillage, c’est le meurtre, ce sont les crimes commis contre de paisible populations, pour le profits d’une poignée de capitalistes, avides de gains . »
C’est la motivation essentielle. Jules Ferry à la tribune de l’Assemblée Nationale est très clair : « Les colonies sont pour les pays riches un placement de capitaux des plus avantageux (...) La question coloniale, c'est pour les pays voués par la nature même de leur industrie à une grande exportation, la question même des débouchés ».(Journal officiel, séance du 28 juillet 1885). Cette motivation transparaît même dans les manuels scolaires « les colonie françaises,…., rendent de grands services à notre commerce et à notre industrie » (2)
Sur les moyens mis en œuvre pour la colonisation quelques témoignages (3) de l’« action civilisatrice » en Algérie:
Tout d’abord un extrait d’un rapport parlementaire « Nous avons profané les temples, les tombeaux, l’intérieur des maisons, asile sacré chez les musulmans…. Nous avons envoyé au supplice sur un simple soupçon et sans procès des gens dont la culpabilité est toujours restée plus que douteuse depuis… Nous avons massacré des gens porteurs de sauf-conduit, égorgé sur un soupçon des populations entières qui se sont ensuite trouvées innocentés ; nous avons mis en jugement des hommes réputés saints du pays, des hommes vénérés parce qu’ils avaient assez de courage pour venir s’exposer à nos fureurs, afin d’intercéder en faveur de leurs malheureux compatriotes… Nous avons plongé dans les cachots des chefs de tribus, parce que ces tribus avaient donné asile à nos déserteurs, nous avons décoré la trahisons du nom de négociation, qualifié d’actes diplomatiques de honteux guet-apens, ; en un mot nous avons débordé en barbarie les barbares que nous venions civiliser et nous nous plaignions de n’avoir pas réussi auprès d’eux. » ( extrait du rapport de la commission nommée par le roi Louis Philippe en 1834).
Plus explicite encore le rapport officiel du général Bugeaud, futur maréchal de France, en date du 17 mai 1844 « Plus de cinquante beaux villages bâtis en pierre et couvert de tuiles ont été pillés et détruits. Nos soldats y ont fait un butin considérable » et comme pour s’excuser de ne pouvoir faire plus le Général Bugeaud poursuit « Nous ne pouvions songer au milieu du combat, à couper les arbres. L’ouvrage, d’ailleurs, serait au-dessus de nos forces. Vingt mille hommes armés de bonnes haches ne couperaient pas, en six mois, les oliviers et les figuiers qui couvrent le beau panorama que nous avons sous nos pieds. »
C’est sans doute dans la correspondance privée que l’horreur de la colonisation s’exprime le plus clairement. Ainsi dans ses lettres le colonel Montagnac écrit « …Vous me demandez,…, ce que nous faisons des femmes que nous prenons. On en garde quelques-unes comme otages, les autres sont échangées, contre des chevaux et le reste est vendu à l’enchère comme bête de somme » (31 mars 1842) « Voilà, mon brave ami, comme il faut faire la guerre aux Arabes. Tuer tous les hommes jusqu’à l’âge de 15 ans, prendre toutes les femmes et les enfants, en charger les bâtiments, les envoyer aux îles Marquises ou ailleurs ; en un mot anéantir tout ce qui ne rampera pas à nos pieds comme des chiens » (15 mars 1843)
Autres lettres, celles de Saint-Arnaud qui devait, lui aussi, devenir maréchal de France: « Des tas de cadavres pressés les uns contre les autres et morts gelés pendant la nuit! C'était la malheureuse population des Beni-Naâsseur, c'étaient ceux dont je brûlais les villages, les gourbis et que je chassais devant moi. » (Région de Miliana, 1843) « J'ai laissé sur mon passage un vaste incendie. Tous les villages, environ deux cents, ont été brûlés, tous les jardins saccagés, les oliviers coupés. » (Petite Kabylie, mai 1851)
Une horreur qui figure explicitement dans les ordres donnés par la hiérarchie militaire. Le général Bugeaud à l’intention du colonel Pélissier : « Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac aux Smelhas ! Fumez-les à outrance comme des renards » (11 juin 1845). Fort de ces instructions, le colonel Pélissier n’hésite pas à asphyxier hommes, femmes et enfants de la tribu des Ouled Riah, réfugiés dans la grotte de Ghar-el-Frechih. Dans son rapport le colonel Pélissier décrit le résultat « Le nombre des cadavres s’élevait de 800 à 1000… On en sortit de la grotte environ 600, sans compter tous ceux qui étaient entassés les uns sur les autres, comme une sorte de bouillie humaine, et les enfants à la mamelle presque tous cachés dans les vêtements de leur mère » .
Aujourd’hui ce type de crime a une qualification : crime contre l’humanité. (4)
L’abrogation de l’article 4 de la loi du 23 février 2005 est une exigence pour le respect des victimes du colonialisme.
Robert Injey
Notes :
1)Lire « la Réhabilitation du colonialisme » de Seumas Milne, le Monde diplomatique mai 2005
2)Extrait de l’Histoire de France, cours moyen par E. Lavisse, 22ème édition, 1924. Sur les motivations de l’expédition d’Alger lire Pierre Pean » Main basse sur Alger. Enquête sur un pillage ». Un butin de 4 milliards d’Euros qui a participé à constituer les fortunes des familles Scheneider et Seillière, favorisant ainsi le développement de la sidérurgie en France…
3) La plupart des citations sont reprises du livre de Marcel Egretaud « Réalité de la nation Algérienne » édité en 1957 aux Editions Sociales.
4) Par crime contre l'humanité selon l'article 6 du statut du Tribunal de Nuremberg (Charte de Londres, 8 août 1945, résolution de l'ONU du 13 février 1946)) il faut entendre : l'assassinat, l'extermination (génocide), la réduction en esclavage, la déportation et tous autres actes inhumains commis contre toutes populations civiles (…)les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, (…).